Accueil

Logo ATFG par GR Grataloup

Retour à la Page Wajdi Mouawad en Banlieue Sud

ATFG - Antony

Amis du Théâtre Firmin Gémier

La Vie théâtrale et culturelle en Banlieue Sud

Wajdi Mouawad sur Radio Canada


Wajdi Mouawad en Banlieue Sud

Nos Regards sur les Pièces et Interventions de Wajdi Mouawad

Manifeste

Hommage aux Théâtres de la Banlieue Sud qui nous ont permis de découvrir de façon approfondie Wajdi Mouawad,  son oeuvre de dramaturge et de metteur en scène 
Ressources de cette Page
2005 Littoral au Théâtre d'Ivry
2005 Notre Dossier sur Rêves à Antony
2004 Incendies à Malakoff
2006 Art et Science à Malakoff
2007 Willy Protagoras enfermé dans les Toilettes à Ivry
2008C'est quoi être communiste ? à Malakoff
2008Seuls à Malakoff


Texte initialement publié dans l'Oeil de Firmin
Haut de la Page

Littoral, redécouvert au Théâtre d’Ivry - Janvier 2005

Logo ATFG

Mort, vie et souvenirs nous entraînent dans un beau voyage émotionnel

 Sur un plateau nu, dégagé de ses entrées de coulisses et simplement planté, au fond, d’un étendage multiple de draps de lin, il nous entraîne et nous embrouille dans son désarroi. Il raconte à un juge invisible comment il a reçu, en pleine nuit et en plein orgasme, le coup de fil qui bouleverse le cours de sa vie. Son père, qu’il n’a jamais connu, vient de mourir au moment le plus inopportun…

Comme dans Incendies,  la pièce présentée l’an dernier, Wajdi Mouawad nous entraîne dans le tourbillon d’une histoire invraisemblable, poignante, drôle et cruelle, reflet de l’empreinte qu’ont laissé dans son esprit les terribles histoires d’une guerre lointaine, jamais nommée. Il a recours, dans Littoral, à la farce et au conte pour nous raconter le périple de Wilfrid qui cherche, dans ce lointain pays, le lieu idéal pour enterrer le cadavre de son père. Celui-ci, absent toute une vie, devient loquace après sa mort et guide son fils dans sa quête de lui-même et des autres. Wajdi Mouawad confirme sa maîtrise au jeu des émotions, nos émotions. On attend la prochaine pièce avec impatience.

Pauline Léna
En 2004, Wajdi Mouawad adapte Littoral au cinéma Littotal le film en DVD
Haut de la Page

Retour à la Page Wajdi Mouawad en Banlieue Sud

Wajdi Mouawad - Incendies 

Malakoff - Janvier 2004

 



Logo ATFG










Incendies sur France Culture




Incendies
enregistré à Malakoff par France Culture en 2006


Incendies enregistré à Malakoff par France-Culture




Haut de la Page

Théâtre et représentation du non-représentable

      Il y a - et c’est la Shoah qui est au cœur du débat - une polémique sur la représentation des crimes extrêmes. Le cinéma, art réaliste, n’a pas encore su représenter ces crimes de face. Certains pensent même qu’il faut le lui interdire. Le théâtre, surtout celui que représente Wajdi Mouawab, n’est pas réaliste. Il n’est pas non plus métaphorique. Les drames qu’il évoque sont profondément incarnés. Les acteurs présents sur scène évoquent les crimes. Leur présence physique donne un poids très fort et les paroles qu’ils profèrent ont un effet émotif très fort. Mais Wajdi Mouawad est un vrai metteur en scène inventif et fort, et la lecture du seul texte ne laisse guère deviner ce qu’est le spectacle.  
      Wajdi Mouawab met peu d’actes cruels en scène. Sa pièce de ce point de vue est pudique, et se distingue notoirement d’un « théâtre de la cruauté moderne (Sarah Kane, Marius von Mayenburg), sans parler du cinéma "gore". L’essentiel se trouve dans les dialogues ou les monologues qui sont souvent des témoignages sur des crimes passés. Toutes sortes de crimes, du refus de la parole à l’assassinat, en passant par l’arrachement des enfants et le viol, sont évoqués par les témoignages des victimes. Wajdi Mouawab a donc opté pour un texte souvent évocateur, épique, lyrique, et il a le talent de rendre profondément émouvantes ces paroles de témoignage incarnée par des acteurs plein d'affects.

Texte et Mise en Scène

      Le texte a été publié, et il faut le lire. Il est beau et fort, mais il ne rend pas compte de la richesse de ce qu’on voit sur scène. Le texte a été écrit au fur et à mesure des répétitions (l’auteur est arrivé avec un synopsis d’une dizaine de pages) mais il ne contient que peu d’indications scéniques. Quand la pièce met en scène simultanément des actions ayant lieu à des périodes différentes, cela ne pose aucun problème de compréhension au spectateur. Mais l’entrelacement des répliques pour le lecteur du texte n’est pas simple à démêler ! C’est que Wajdi Mouawab utilise à fond les possibilités du théâtre, aussi bien par ses conventions traditionnelles (avec les retournements de situations propres aux traditions de cet art) que par des inventions propres à ce metteur en scène imaginatif.  

Passés et Présent simultanément sur scène

Il faut voir l'usage des temporalités ! Quand « Nawal-60 ans » découvre la triple personnalité de son bourreau, on voit simultanément « Nawal-15 ans » accoucher de son aîné et « Nawal-45 ans » accoucher de ses jumeaux. La brève indication scénique de Mouawad-auteur (dans le texte) ne donne pas l’idée de ce qu’obtient Mouawad-metteur en scène avec des moyens techniques très modestes (deux escabeaux), mais surtout une excellente troupe d’acteurs. Quand le savoureux notaire utilise aujourd’hui un repos forcé, dû à des travaux, pour arroser son jardin et parler aux jumeaux de la phobie de Nawal pour les autobus, on voit alors « Nawal-20 ans » dire, témoigner, proférer (quel mot employer ?) de la vision d’horreur qu’elle a connue quand des soldats ont massacré, arrosé d’essence et brûlé les réfugiés d’un camp arrivés dans un autobus dont elle avait pu descendre (elle était du « même camp » que les soldats massacreurs). Alors le tuyau d’arrosage se transforme en mitrailleuse arrosant de sang la malheureuse qui témoigne des massacres. Cet effet incroyablement émouvant est, d’abord, porté par la voix et le corps symboliquement supplicié de la jeune actrice (Isabelle Roy), mais aussi par un usage de moyens qui, techniquement, sont très simples (le mur translucide, un tuyau d’arrosage, des éclairages rouges, une bande son avec le bruit de marteau-piqueur) mais dont l’arrangement est d’une incroyable force, à la fois visuelle et émotionnelle. Bref, c’est beau, c’est intelligent, c’est inventif, mais avant d’admirer (par reconstruction ultérieure), on pleure.

Théâtre et histoire des tragédies libanaises

          Dans un cycle de pièces commencé avec Littoral, Wajdi Mouawad s’est attaqué au thème des guerres civiles et des personnes déplacées. Dans Incendies, il affronte le drame des crimes extrêmes. Sa pièce s’appuie sur sa connaissance des guerres au Liban, mais il a su trouver une hauteur de vue qui fait aussi penser aux guerres dans les Balkans ou en Afrique.  Je ne raconterai pas le scénario, car l’auteur joue sur les surprises et les retournements. Mais il y a plusieurs quêtes qui s’entrecroisent : celles de deux jumeaux qui découvrent à la mort de leur mère - devenue mutique cinq ans avant sa mort - qu’ils ont un père et un frère. Cela perturbe complètement l’idée qu’ils avaient de leur famille. Ils finissent par faire une enquête dans le « pays natal de leur mère », et se retrouvent sur le terrain où leur mère, jeune a connu une magnifique histoire d’amour, avant d’être la victime des traditions familiales des siens, puis de la guerre civile qui a opposé des gens pourtant très proches et a entraîné des crimes extrêmes. Comme Shakespeare, Wajdi Mouawab sait mêler le burlesque et le tragique le plus émouvant. Comme Sophocle il montre l’imbrication de la vie la plus privée et de la vie la plus politique. Avec un mur translucide (son seul décor avec le sol carrelé) et  trois accessoires, des chaises, des seaux d’eau, un tuyau d’arrosage et un magnétophone à cassettes, il sait visuellement et « sonorement » évoquer tout un monde en feu qui brûle les êtres les plus fragiles, les femmes et les enfants. L’auteur n’a peur ni des jeux de mots qui font rire, ni des discours philosophiques et politiques qui montrent son refus d’un système basé sur la vengeance clanique. Dans tous les cas un travail très strict sur le jeu des acteurs (il est « intraitable » sur la prononciation des mots et le rythme des phrases, mais il laisse libres ses acteurs sur les aspects psychologiques et émotionnels) permet l’incarnation d’une belle analyse philosophique et politique des drames qui crucifient notre temps. Un bel éloge du TPI lui permet de théâtraliser les situations et de condamner les meurtriers.

Langage, Personnages

        Il y a un notaire « bien de chez nous » (disent les critiques canadiens) qui interprète à sa façon les expressions toutes faites de la langue française (il les massacre), mais qui a une grande dignité, et - puisqu’il est exécuteur testamentaire de son amie Madame Nawal Marwan - il va obliger, en payant même de sa personne, les jumeaux à respecter le testament de leur mère qu’ils haïssaient (elle ne parlait plus, elle ne leur parlait plus, et ils n’avaient que 17 ans quand elle s’est emmurée dans son mutisme). Sur le terrain, il se montrera très efficace. 

         Il y a les jumeaux, Jeanne et Simon Marwan, 22 ans quand leur aventure commence. Il est boxeur amateur, et il hait sa mère. Elle est mathématicienne : sublime utilisation de la théorie des graphes et d’une conjoncture mathématique pour résoudre de difficiles problèmes de famille, ou plutôt de représentation de la famille. Les jumeaux étaient orphelins de père, mort en combattant pour son pays et ils n’avaient pas de frère. Quand la pièce commence, toutes ces certitudes s’effondrent. Les jumeaux commencent par refuser de partir en quête de cette génénalogie troublée. Puis ils obéiront aux désirs de leur mère. 

         Il y a Antoine, l’infirmier qui a entendu Nawal parler une nuit : « Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux ». Il a enregistré 500 h du silence de Nawal. Ce silence est assourdissant.

         Il y a « Nawal-14 ans » amoureuse du jeune réfugié Wahab, bientôt enceinte. Son bébé lui est arraché par sa famille, représentée par sa mère. Elle est en colère contre sa mère, qui est elle-même en colère contre sa propre mère, la grand-mère de Nawal. La vieille dame va mourir. Elle veut que l’on grave son nom sur sa tombe. Dans ce village, tous sont illettrés. La vieille dame fait promettre à sa petite fille qu’elle apprendra à lire et à écrire, elle sera alors armée pour combattre - pour combattre en particulier cette colère que ces femmes entretiennent contre leur mère, c’est à dire contre leur société. « Nawal-15 ans » part 3 ans. Quand elle revient, elle est armée pour résister aux hommes de son village, elle peut graver sur une pierre le nom de sa grand mère, et elle rencontre Sawda. Sawda est une réfugiée du même village que Wahad. Elle aussi veut apprendre à lire, écrire et se battre. Elle devient l’amie de Nawal. Nawal lui apprend les lettres et les mots. Sawda apprendra à chanter à sa professeure.

            « Nawal-15 ans »  a un but : retrouver son enfant, l’enfant de l’amour, et elle va chercher des années avec opiniâtreté cet enfant qu’elle aimera toujours, quoiqu’il arrive.

            « Nawal-35 ans » et Sawda. Militantes féministes créant un journal et cherchant à faire la paix autour d’elles. Mais les meurtriers les pourchassent. Elles aussi doivent se défendre les armes à la main. Elles doivent choisir. Que faire dans ce circuit des vengeances qui s’enchaînent les unes aux autres ? L’une choisira la violence suicidaire et sacrifiera sa tendre chair dans un attentat kamikaze. L’autre refusera les attentats aveugles et décidera de passer aux actes en tirant « deux balles jumelles. Pas une, pas trois. Deux » sur Chad, le chef de toutes les milices, le principal responsable des massacres. Son attentat réussit, ses deux balles tuent Chad. Elle le paiera de dix ans d’emprisonnement dans la terrible prison de Kfar Rayat où elle sera torturée et violée par le chef de la prison, le terrible Abou Tarek .Elle y sera enceinte ; son enfant, encore une fois, lui sera arraché. Plus tard elle retrouvera Malak, celui qui a recueilli et élevé sa progéniture, et qui la lui rendra.  

            « Nawa-60 ans » témoigne au Tribunal Pénal International : le TPI y est ce « théâtre dans le théâtre » où les victimes peuvent témoigner et retrouver leur dignité. Elle y retrouve son bourreau. La pièce peut commencer. 

 Jean-Louis Lambert

 

Haut de la Page

Retour à la Page Wajdi Mouawad en Banlieue Sud

31 mars 2006 - Art (Théâtre) et Science à Malakoff

La Science se livre - Rencontre Etienne Klein et Wajdi Mouawad


Logo ATFG

Etienne Klein - Il était sept fois la révolution

Etienne Klein : Il était sept fois la révolution ... Albert Einstein et les autres - Flammarion, 2005.

Art et Science à malakoff

      Invité à rencontrer un scientifique dans le cadre de « Livre en Science » au Théâtre de Malakoff où ses pièces sont  jouées  depuis 1999, Wajdi Mouwad a désiré inviter le physicien Etienne Klein dont il venait de lire un livre de vulgarisation sur la mécanique quantique. Il était reconnaissant au scientifique d’avoir été un médiateur, grâce à la vulgarisation, entre un « incompétent » en science (en fait pas si incompétent que ça) et les révolutions scientifiques qui ont marqué l’histoire moderne et qui semblent encore très loin de la conscience des artistes et des écrivains. Le dramaturge s’est présenté comme un « raconteur d’histoire » qui cherche à écrire des pièces qui tiendraient compte de ces révolutions « coperniciennes » : le terre n’est pas au centre du monde (Copernic), l’homme est aussi un animal (Darwin), il n’est pas non plus un être dirigé par la raison (Freud). Les questions qui ont été posées par l’écrivain au scientifique ont surtout été des questions de philosophie sur la compréhension du monde par l’être humain. Comment intégrer ces révolutions et la révolution quantique dans un récit : en physique classique, un objet écrit une trajectoire unique. En mécanique quantique un objet explore toutes les trajectoires possibles, en fonction de probabilités, bien sûr ; le « chat de Schrödinger » peut être à la fois vivant et mort. 

      Il est apparu deux positions, à la fois très différentes et complémentaires,  qu’on peut tenter de décrire par le « concept de causalité ». Ce concept interdit au temps d’être « cyclique », le temps ne peut pas se reboucler et repasser par le même point : on dit alors que le temps est « linéaire ».  Or les conceptions des cultures traditionnelles voyaient le temps comme cyclique, ce qui est rassurant (« si on vit bien », a précisé Etienne Klein qui a l’expérience de l’enseignement en prison). Cette conception cyclique du temps engendre une confusion entre le monde que l’homme voyait cyclique (le jour et la nuit, les saisons, les naissances et les morts) et le temps lui-même. Ce concept de temps cyclique niait le rôle de l’action : l’homme peut agir autant qu’il le veut, il ne changera rien au destin. On arrive alors au concept d’éternel retour chez Nietzsche et à son idée du « surhomme » qui « agit quand même » alors qu’il sait que cela ne servira à rien. C’est la science occidentale qui a imposé l’idée du « temps linéaire » : tout instant nouveau est neuf. Cela donne la liberté, et aussi le sens du progrès.

      Ce temps linéaire imposé par la physique moderne interdit le voyage dans le temps, alors que ce thème est très apprécié par les spectateurs,  pas seulement dans la science-fiction, mais également dans les reconstitutions historiques de la télévision ou du cinéma. Or ce jeu avec le temps est au cœur du théâtre de Wajdi Mouawad. Celui-ci a fait référence à sa future création Forêts qui sera présentée à Malakoff à la rentrée suivante); mais on a déjà une idée des conceptions du dramaturge avec sa précédente pièce, Incendies, vue à  Malakoff en 2004 et enregistré pour France Culture sur la même scène fin mars 2006. Car dans cette pièce, « un plus un égal un ». En effet, on y voit une mère, qui refusait de parler depuis plusieurs années avant sa mort, qui a légué à ses deux enfants, des jumeaux, deux lettres à remettre, l’une à leur père, l’autre à leur frère. Or ce père et ce frère, c’est le même homme. Il a donc fallu que le dramaturge « invente une histoire » (puisque c’est en tant qu’ « inventeur d’histoire » que le dramaturge se présente) qui permette cette « opération non classique ». Cette opération impossible donne lieu à un témoignage tragique sur les drames de notre temps : l’écrivain témoigne en fait sur les massacres lors des guerres du Liban. Mais il articule cette histoire dans une narration qui joue avec le temps. Qui joue ou qui le tord. Dans sa mise en scène qui présente sur le même plateau des scènes simultanées : au Québec aujourd’hui et au Liban à droite ; « aujourd’hui à gauche », « il y a vingt ans » à droite ; « une scène paisible » à gauche, « une scène tragique » à droite. Et grâce à l'éblouissante maîtrise de la mise en scène de Wajdi Mouawad, et avec des moyens techniques très simples, le spectateur comprend tout immédiatement. Mais l’auteur-metteur en scène fusionne aussi ces temps et ces espaces et obtient des effets à la fois très beaux et très émouvants.

      On a envie de dire que Wajdi Mouawad cherche à perturber la causalité et à brouiller le temps. Pour cela il suffit de considérer les chronologies : comment des jeunes gens (les jumeaux) peuvent-ils s’y retrouver dans le temps et les générations ? un frère doit avoir à peu près le même âge qu’eux, et un père au moins vingt ans de plus qu’eux : dans cette histoire il y a vingt ans qui manquent (ou qui sont en trop !) . Comment, par un scénario complexe et une mise en scène tout aussi complexe - elle doit rendre cette histoire parfaitement visible -, arriver à une explication finale qui n’est obtenue qu’après une enquête difficile dans un pays, dans un temps, dans une « Histoire » (avec le grand « H ») et dans une généalogie familiale (c’est l’ « histoire » avec le petit « h ») ? 

      Il y a donc une contradiction à résoudre entre la physique et le physicien qui imposent le principe de causalité, et l’artiste qui - comme beaucoup d’hommes - le refuse. Etienne Klein a parfaitement conscience de ce désir chez les hommes. Comment faire passer la raison dans le « cerveau reptilien » des hommes ? Comment « penser après Auschwitz » ?

J.-L. L

Haut de la Page

Retour à la Page Wajdi Mouawad en Banlieue Sud

Willy Protagoras enfermé dans les toilettes

Ivry - Avril-Mai 2007
Logo ATFG

           Tout Mouawad est là, à 18 ou 19 ans. Bien sûr ce n’est pas aussi sublime que Littoral, Incendies ou Forêts. Et puis il semble être sous l’influence du Théâtre de l’Absurde, version « comment s’en débarrasser ? » de Ionesco, ou plutôt des « Bâtisseurs d’Empire » de Boris Vian. Il est jeune : il n’hésite pas à écrire une allégorie scatologique où ses personnages parlent (hélas ! ou hélas ?) le langage réel que parlent nos contemporains (si des spectateurs trouvent que la pièce est trop grossière, qu’ils écoutent le parler réel de leurs proches). Bref, quand il est question de merde, c’est vraiment d'excréments qu’il s’agit, et il est clair que lorsque Flore Lefebvre des Noëtte, dans le rôle de la mère - qui « fait » dans le salon parce que les toilettes ne sont pas disponibles - nous nous rappelons que c’est à elle que Bernard Sobel s’est adressé quand il a eu besoin d’une « mère Ubu » à Gennevilliers : je trouve seulement que (dans cette séquence-là) Magali Léris n’a pas réellement su accompagner par une mise en scène adéquate (en particulier par les lumières) l’extraordinaire numéro d’une actrice très courageuse dans cette séquence hors norme.

Willy Protagoras - photo Bellamy

           Toute la thématique de Wajdi Mouawad est là : comment parler des guerres civiles au Liban sans prononcer le nom du Liban, sans prononcer le nom des Chrétiens, ni des Musulmans, ni des Palestiniens, ni des Syriens ? Pourtant ils sont tous bien présents dans cet immeuble où il y a « une famille en trop » - famille qui est accueillie dans le plus bel appartement de l’immeuble, celui qui a vue sur la mer et non seulement sur la cour intérieure où piaillent les voisins - et qui bientôt prend trop de place. Elle ne veut plus partir. Elle gêne. C’est la crise : certain(e)s s’en vont ailleurs (en exil ?) ; d’autres s’enferment dans les toilettes et empêchent la vie normale de se dérouler. Alors les voisins - plus ou moins bien intentionnés - s’en mêlent, d’abord avec gentillesse, puis avec trop d’empressement, puis avec perversité. Enfin c’est la rupture des liens familiaux, chacun cherchant sa solution personnelle en s’acoquinant avec un voisin trop malin, le « notaire » (la Syrie ?), et tout le processus aboutira à un paysage dévasté.

 

           La transposition d’une guerre civile en une dispute-jalousie entre voisins d’immeuble marche fort bien (même si on décode facilement l’allégorie politique) et Wajdi Mouawad a eu des idées excellentes pour faire fonctionner cette idée avec ces voisins/voisines toujours prêt(e)s à s’exciter, ou avec ce fils de famille qui sait qu’en s’enfermant dans les toilettes il va déclencher l’apocalypse. Cela permet à une troupe - 18 comédiens, 7 acteurs et 11 actrices : on voit rarement une telle troupe sur nos scènes, et c’est un plaisir - de se déchaîner. Bien sûr, tout n’est pas égal. Wajdi Mouawad écrit là une « pièce de jeunesse » avec sa force, ses idées, mais aussi ses maladresses et quelques longueurs. La troupe n’est pas complètement homogène. Mais Magali Léris a réellement compris l'art de Wajdi Mouawad. En particulier elle a montré qu’il suffit de quelques paravents sur le grand plateau pour tout suggérer - ce qui est complètement fidèle à l’esprit de l’auteur -, et qu’il vaut mieux des acteurs motivés que des décors compliqués. Certes, elle n’a pas toujours su accompagner ce texte qui part dans beaucoup de directions, mais après une heure et demie de « bon théâtre », elle a réussi une dernière demi-heure de « grand théâtre », impressionnant et émouvant. Nous lui en sommes reconnaissants.
J.-L. L.
Malakoff
C'est quoi être communiste ?

Malakoff  18 Octobre

Voir notre page Actualités Eté-Automne 2008

Seuls

Malakoff Novembre 2008
Voir notre page Actualité-Eté-Automne 2008
Haut de la Page

Retour à la Page Wajdi Mouawad en Banlieue Sud

Logo ATFG par GR Grataloup
accueil
© ATFG - Amis du Théâtre Firmin Gémier – Mise à jour du 13  Janvier 2008