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ATFG - AntonyAmis du Théâtre Firmin GémierLa
Vie théâtrale et culturelle en Banlieue
Sud
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Actualités théâtrales et culturelles Hiver 2007-2008 |
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Création au
Théâtre 71 Malakoff 17 janvier - 2 février 2008
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Meilleurs Souvenirs de Grado
de Franz Xaver Kroetz mise en scène de Benoît Lambert |
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Meilleurs Souvenirs de Grado Pièce de Franz Xaver Kroetz Traduite (de l'allemand) par Gaston Jung et Daniel Girard Mise en scène de Benoît Lambert Interprêtes : Martine Schambacher Marc Berman Scénograohie et lumières d'Antoine Franchet assisté de Florent Gauthier. Martine Schambacher a joué chez Jean-Louis Hourdin, Matthias Langhoff, Jean-Louis Martinelli (photo site Théâtre OnLine) Marc Berman a joué chez Jean-Claude Penchenat - c'est un ancien du célèbre Bal -, Robert Cantarella, Jean Joudheuil. On a récemment beaucoup aimé la mise en scène de Benoît Lambert pour Le Misanthrope
vu, également à Malakoff, la saison dernière.
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Meilleurs Souvenirs de Grado
La pièce de Franz Xaver Kroetz date de 1976, et ce doit être à l'origine une pièce radiophonique, genre très pratiqué en Allemagne. Le pièce nous rappelle le "Théâtre du Quotidien", comme La Promenade du Dimanche de Georges Michel (publiée en 1967, avec une préface de Jean-Paul Sartre). Ce théâtre succédait au glorieux "Théâtre de l'Absurde" - nous pensons ici aux pièces de Ionesco - qui avait déjà joué avec virtuosité avec les clichés pour se moquer de "l'aliénation" des membres d'une société qui accédait à la consommation. Cette pensée annonçait les critiques qui allaient tellement se répandre au moment de mai 1968. Dix ans plus tard, un auteur allemand très fécond illustre cette même thématique en envoyant en vacances un couple de prolétaires allemands dans une station balnéaire italienne. Le jeune metteur en scène Benoît Lambert présente cette pièce comme une illustration des effets d'un nouvel "opium du peuple", "la religion des loisirs". Or, cette pièce de la fin des années soixante-dix nous rappelle plutôt l'ambiance des années cinquante et soixante quand - les "trente glorieuses" aidant - les classes populaires commencèrent à accéder aux vacances au bord de la mer. On se souvient de la chanson de Michel Jonasz, Les vacances au bord de la mer : Quand on avait payé le prix d'une locationIl ne nous restait pas grand chose ( musique de Michel Jonas, paroles de Pierre Grosz)
évocation tendre des vacances, à la fois heureuses et grises, dans l'enfance d'auteurs nés dans l'immédiat après-guerre : dans cette chanson de 1975, on y parle des vacances de 1960. En 1976, en mettant en scène un couple de prolétaires allant certes en vacances, mais avec perpétuellement des contraintes fortes sur leur vie, l'auteur prend le risque de jouer avec des clichés. Car chacune des séquences met en évidence, et de façon systématique, les limites des personnages : limites financières d'abord (un peu comme dans la chanson pré-citée de Michel Jonasz) et il faut compter à chaque dépense ; limites sociales (ils n'ont personne à qui écrire) ; limites culturelles (leurs difficultés pendant le concert en plein air ou la visite de Venise) ; limites amoureuses enfin (celles des prolétaires fatigués). Les deux personnages vivent toujours dans deux temporalités différentes : elle veut profiter du moment qui passe et se convaincre que tout est beau ici ; lui vit dans la tristesse d'un futur où il faut compter. En voyant défiler tout ce catalogue, on se dit que la manipulation des clichés de la vie quotidienne est dangereuse : comment éviter de tomber dans les clichés littéraires de la dénonciation ? Mais cette pièce a de la chance. Sa première chance, c'est d'être mis en scène impeccablement par Benoît Lambert, un jeune metteur en scène issu de l'école du grand Pierre Debauche. Il utilise l'espace astucieusement, en jouant avec un "décor de carte-postale". Et la deuxième grande chance de la pièce, c'est d'être jouée par deux excellents comédiens, au dessus de tout éloge : Martine Schambacher et Marc Berman. Ces deux acteurs s'investissent complètement dans leur rôle. Ils apportent à la pièce humour, finesse, et surtout une très grande humanité qui a touché les spectateurs. Pour eux, il faut voir cette pièce. J.-L. Lambert |
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Création au
Théâtre 71 Malakoff 6-22 février 2008
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Edouard II
de Christopher Marlowe (1564-1593)
mise en scène d'Anne-Laure Liégeois
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Haut de la Page | En 2005, Anne-Laure Liégeois avait mis en scène un décoiffant Dom Juan de Molière au Théâtre Firmin Gémier d'Antony. Voir notre dossier. | |||||||||||||
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La pièce commence, un grand plateau nu,
très en pente, et tout en haut, dans le clair obscur
créé par des éclairages subtils, les personnages
de la pièce apparaissent brutalement. Un réel choc esthétique : nous savons tout de suite que la mise en scène sera réussie.
La pièce, Édouard II de Christopher Marlowe (1564-1593) est aujourd'hui un classique du "théâtre de la transgression". Cet auteur - contemporain de Shakespeare, donc un "élisabethain" - a déjà une réputation sulfureuse. Attention ! Tout ce qui va être dit sur l'histoire de l'Angleterre - ses rois, ses reines, ses usurpateurs et ses dramaturges - relève en grande partie de la légende. Celle-ci est quelquefois dorée, souvent noire, car ce qu'on raconte est toujours instrumentalisé par des groupes politiques (du temps de Marlowe des groupes protestants adoraient massacrer des catholiques). Ainsi, l'auteur de la pièce est lui-même un héros de roman noir : auteur d'une demi-douzaine de pièces (dont un Docteur Faustus), diplômé avec difficulté (il serait soupçonné de vouloir se convertir au catholicisme romain), agent secret des services de la reine Elisabeth I, auteur de pièces pervertissant l'ordre public, occultiste, homosexuel et athée, enfin assassiné mystérieusement d'un coup de dague dans l'oeil à 29 ans. On croirait un héros d'Edouard II (sa pièce). Ou bien Marlowe est une victime des racontars inventés par les ennemis politiques de son clan. Comment savoir ? On pourrait dire la même chose du roi Edouard II Plantagenêt (1284-1327, attention, nous sommes deux siècles et demie avant Elisabeth I et Marlowe) dont la mort (toujours racontée bien longtemps après) a plusieurs versions : en Italie, 11 ans après son évasion de sa prison ; ou de mort naturelle ; ou bien étranglé dans sa prison (la plus probable ?) ; enfin empalé avec une broche rougie au feu : c'est la version la plus spectaculaire. Il faut dire aussi qu'Edouard II était considéré comme homosexuel. C'est (évidemment ?) la dernière version (légende noire ?) qui est retenue par Marlowe, l'emprisonnement du roi dans un "cul de basse-fosse" (cette expression traditionnelle doit être prise au pied de la lettre) et son assassinat étant, avec son homosexualité, l'épisode le plus connu de sa vie (si l'on peut dire !). C'est aussi le sommet dramatique de l'oeuvre de Marlowe (et une grande réussite "noire" de la mise en scène). Si l'on tue un roi, c'est qu'il y a eu prise de pouvoir par un "usurpateur", le comte Roger Mortimer devenu l'amant de la reine Isabelle, après une guerre entre Edouard II, roi qui se veut absolu, et les principaux membres de la très haute aristocratie qui l'entoure. Ces hauts nobles, tous "comtes" ou "barons", sont de rang très élevé, souvent "cousins" du roi, et ils sont proches du rameau dominant de la dynastie des Plantagenêts. Sont-ils "anglais" ? Pour bien comprendre que nous sommes dans une civilisation féodale, il faut savoir que, par ses ancêtres, ce roi est à près de 60% français, à moins de 15% anglais, le reste étant espagnol, italien, suisse, portugais. Il n'y a pas ici de sentiment national, mais un sentiment clanique et sacré. Les références au peuple existent, mais on les perçoit comme une langue de bois manipulée par les seigneurs. Le roi est censé être intouchable (pour condamner à mort le roi, on s'entoure de toutes sortes de protections formelles, toutes illusoires, d'ailleurs), mais le vrai pouvoir appartient au grand seigneur assez riche pour avoir la plus grosse armée de mercenaires afin de conquérir des places fortes. Ou pour acheter les meilleurs espions et assassins. Ou pour corrompre les seigneurs indécis. Ou pour offrir des promotions aux meilleurs arrivistes.
Le problème est double. Il est d'abord politique : le roi a choisi son favori dans un milieu qui n'est pas le sien (quelle honte) et les grands seigneurs voient le pouvoir réel leur échapper. Il est ensuite économique : le roi dilapide l'argent du royaume avec ses favoris en fêtes dispendieuses ; pour les grands seigneurs il y a sûrement mieux à faire avec cet argent. La haute noblesse ne peut plus supporter ces scandales (et l'Eglise de Rome soutient la noblesse). Elle fomente une révolte, et la guerre a lieu entre les armées (mercenaires) du roi et l'armée (mercenaire aussi) des nobles. La guerre est indécise. Un temps, le roi l'emporte et il fait exécuter une bonne partie de cette noblesse qui s'est opposée à lui. Puis l'équilibre change (pourquoi ?), et c'est le roi qui est vaincu. Le comte Roger Mortimer prend la tête du royaume. Les favoris sont exécutés, le roi est emprisonné et destitué, puis exécuté (voir plus haut). La reine Isabelle devient la maîtresse du vainqueur et Mortimer est régent, en attendant que le jeune Edouard III devienne roi. Quand celui-ci prend effectivement le pouvoir, il commence par faire exécuter celui qui a fait tuer son père. Nous sommes en 1330. Si tout cela a été raconté, c'est que la pièce de Marlowe décrit assez précisemment cette "succession royale" où on voit un fils succèder à son père. Il est étonnant de voir qu'il a fallu autant de guerres, de meutres et de violences pour arriver à un résulat aussi simple. On s'entretuait beaucoup dans les familles régnantes en ce temps là : Shakespeare nous a beaucoup raconté cela. Mais Marlowe n'est pas Shakespeare. Edouard II (la pièce de Marlowe) n'est pas Richard III (la pièce de Shakespeare qui conte la fin de la dynastie des Plantagenêt, Richard III est justement un descendant d'Edouard II). Edouard II est beaucoup plus squelettique et ne contient pas les richesses des pièces du grand Will. Sa sécheresse a quelques avantages : elle montre la guerre pour le pouvoir à son niveau le plus basique, celui de la pure violence et du pur intérêt. Et il y a toutes ces scènes étonnantes où le roi Edouard II ne comprend pas qu'un roi ne puisse pas vivre la vie qu'il veut, aimer le favori qu'il veut et faire les fêtes qu'il veut. Sinon, à quoi cela sert-il d'être roi ? Les désirs s'y exposent de la façon la plus brute. Le "théâtre de la transgression" (depuis Roger Planchon dans les années cinquante) a donc l'occasion de mettre cela en scène de la façon la plus directe. Mais tout cela doit être aussi replacé dans son contexte féodal : les désirs qui s'y expriment sont ceux d'une classe sociale, de roi et de grands seigneurs féodaux, où chacun de ces maîtres veut tout le pouvoir pour lui seul. Et tous se font d'autant plus la guerre qu'ils sont proches du pouvoir suprême. Ces personnages tragiques sont donc tous des espèces de robots. Il n'y a pas la richesse humaine de Shakespeare pour nous toucher. Anne-Laure Liégeois a fait une magnifique mise en scène visuelle. Elle a su obtenir de deux acteurs exceptionnels qu'ils mettent leur talent et leurs personnalités au service d'une noble cause : donner de l'épaisseur à des personnges qui n'en ont guère. Ce sont les attitudes tendues, rapides, souples et les regards incroyables de Claude Duparfait qui donnent à son personnage de roi, fou d'amour pour son favori, un éclat et une force surprenantes. Roi fou d'amour ou fou tout court ? le sujet de la pièce serait-il : "comment s'en débarrasser", d'un roi fou - fou, mais légitime ?
Margareth, le plus beau parti d'Angleterre, la nièce du roi, mariée au favori, est encore plus mal traitée : la scène que lui a écrite Marlowe la montre naturellement amoureuse de son mari - cette société archaïque ne lui laissait pas d'autre choix. Le spectateur moderne, lui, est étonnée de l'allégeance des personnes à l'obligation politique. Il y a un décalage réel entre notre façon de voir d'aujourd'hui et le mode de fonctionnement de cette société. Nous, individualistes démocratiques, nous ne supportons plus le mode de fonctionnement de ces sociétés hiérarchisées où la "naissance" semble tout diriger. Mais notre sensibilité artistique, issue du romantisme, est excitée par cet individualisme aristocratique qui permet aux pulsions élémentaires de se parer de beaux discours : Marlowe commence à voir que "ça ne va plus", mais lui aussi participe grandement de ce mode de pensée ; après tout, sa pièce est finalement très "légitimiste" : un fils succède à son père, c'est tout. Mais cette succession royale donne l'occasion d'un roman feuilleton d'une grande violence très spectaculaire. . Une belle mise en scène très réussie. Une troupe d'acteurs très bien menée exécute cette chorégraphie de la guerre pour le pouvoir avec un grand brio, mais ces personnages n'existent guère en tant que "personnes". Il y a dans notre regard sur cette pièce beaucoup d'admiration, un grand frisson à observer ces insectes d'un autre temps qui s'entretuent dérisoirement, mais pas tellement d'émotions. Quoi que disent bien des commentateurs, Marlowe n'est pas Shakespeare. Dans la rencontre qui a suivi la représentation du 17 février à Malakoff, la metteur en scène-traductrice-adaptatrice a expliqué qu'elle avait dû reconstruire une pièce qui était pleine de trous, avec des débuts d'intrigues qui n'avançaient pas. Elle a dû affronter la nécessité de donner de la présence à des personnages très peu construits par l'auteur (Margareth par exemple). A voir absolument cependant : Anne-Laure Liégeois est une très grande artiste. Elle prépare une Duchesse d'Amalfi de John Webster (1580-1625), pièce "élisabethaine décadente" que nous avons vue naguère, mise en scène par Matthias Langhoff. Jean-Louis Lambert
18 février 2008
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© ATFG - Amis du
Théâtre Firmin Gémier – Mise
à jour
du 19 Février 2008 |